“C’est le drame du cinéma de tourner des images qui sont fixées et que vous ne pourrez jamais changer alors qu’elle sont destinées à un public futur.” Scénariste, critique cinématographique et réalisateur, Luigi Comencini a fait du prolétariat et de l’enfance les thèmes centraux de son œuvre, bien qu’il ait toujours réfuté d’être mis dans une case. Son engagement politique ne fait aucun doute. Homme de gauche, photographe de l’Italie populaire et des quartiers de misère, sa caméra restera toute sa vie braquée sur les problèmes sociaux qui sévissent dans la botte. Mais la comédie n’est jamais très loin, Comencini excelle autant dans la farce que dans la tragédie. C’est d’ailleurs la comédie Pain, amour et fantaisie en 1954 avec Vittorio De Sica et Gina Lollobrigida qui l’a révélé au grand public. Très apprécié en France, le public l’a célébré pour des films aux genres sensiblement différents les uns des autres. Disparu il y a dix ans, il demeure à ce jour l’un des grands maîtres de la comédie à l’italienne. Réécoutez la voix du grand réalisateur à travers quatre émissions diffusées sur France Culture de 1974 à 1981.
Les Aventures de Pinocchio
On retient volontiers le Pinocchio de Comencini, une audacieuse et rugueuse adaptation du conte, aux antipodes de la version de Disney. Initialement réalisé pour la télévision, le cinéaste en adaptera une version raccourcie destinée au cinéma.
Luigi Comencini sur Les Aventures de Pinocchio dans Panorama (1976)
4 min
Les Aventures de Pinocchio est une histoire sur un enfant racontée pour des adultes. Il offre une critique envers la pédagogie traditionnelle qui s’exprime par la fée. Luigi Comencini
Dans cet extrait, le cinéaste parle de son film sorti en 1961 mais encore inédit en France, A cheval sur le tigre. Ce film, aux allures de documentaire sur la vie dans les prisons, interroge également la figure du père et des rapports qu’il entretient avec son fils. Cette véracité de la vie carcérale dans le film permet d’interroger la relation du réalisateur au néoréalisme duquel il s’est toujours montré distant. “Non, ce film ne prolonge pas l’esprit du néoréalisme, c’est un esprit complètement différent. Le néoréalisme assimile des témoignages d’enquête sur la vie italienne. (…) Je considère pour ma part A cheval sur le tigre comme une fable amère, une tragédie qui fait rire et une allégorie de la vie.”
Défense de voler (De nouveaux hommes sont nés)
Il s’agit du premier long-métrage de Luigi Comencini, qu’il qualifie “d’assez gauche car réalisé avec pas assez d’expérience“. Ce film est consacré aux jeunes délinquants napolitains tourné avec des acteurs rencontrés dans la rue. Bien qu’il soit sorti en 1947, les méthodes de travail du réalisateur ne semblent pas avoir changé trente ans après, comme il l’exprime dans l’émission Cinemagazine :
Encore aujourd’hui, je déteste le studio. Dans tous mes films, je cherche la rue.
Luigi Comencini sur “Défense de voler” (1974)
3 min
Dans cet entretien, Luigi Comencini se définit comme un homme curieux, qui aime changer de champs et qui possède une importante considération pour le cinéma et ses films : “J’ai toujours fait mes films avec un grand enthousiasme, même des films pour la télévision. Le film est un produit que l’on ne peut pas faire sans enthousiasme et est un produit que l’on ne peut juger que quand il est fini.” Dans cette archive de 1974, le réalisateur évoque ses deux films préférés : La Grande pagaille (1960) et Pinocchio (1972), dans ses deux versions télévisées et au cinéma.
Le Grand embouteillage
Inspiré du tableau La Parabole des aveugles de Brueghel, Le Grand embouteillage conte l’histoire d’une parcelle d’autoroute aux environs de Rome complètement bloquée par un gigantesque embouteillage. Dans Les Arts du spectacle, le cinéaste précise : “Mon film n’est pas un film qui parle du trafic, il parle des contradictions et des embouteillages de la vie moderne.” Le film propose une réflexion symbolique sur la cécité. Il montre selon Comencini “la cécité des hommes aujourd’hui qui subissent des phénomènes de la vie et ne savent plus les maîtriser.”
Luigi Comencini dans Les arts du spectacle (1979)
5 min
Le Grand embouteillage est une farce tragique mais aussi un appel au secours que Comencini a enfermé dans la bouteille à la mer du cinéma. Citation d’un journaliste italien dans Les Arts du spectacle.
Comme souvent, ce film engagé, qui réunit entre autres Alberto Sordi, Annie Girardot, Marcello Mastroianni et Gérard Depardieu, permet au réalisateur de s’exprimer sur la situation de son pays, l’Italie. Dans cette émission de 1979, il la qualifie “d’alarmante” : “L’Italie est un pays où il y a un échantillon d’événements dramatiques assez vaste qui sont peut-être plus avancés qu’ailleurs, avancés dans un sens négatif.” A l’image des propos du cinéaste, le film se termine avant que l’embouteillage qui bloque tout le pays ne cesse. Le Grand embouteillage reflète également la dualité tragédie-comédie chez Comencini, il débute comme une comédie à l’italienne avec des effets grotesques sur la situation de l’embouteillage que tout le monde connait, pour se transformer en drame social.
Eugenio
Ce film narre le quotidien d’un jeune couple soixante-huitard avec un enfant, Eugenio, qui est le souffre-douleur de ses parents. La structure familiale permet de peindre des gauchistes décrits par le réalisateur comme immatures. Le film dépeint également des problèmes familiaux et permet au cinéaste d’aborder son sujet de prédilection : l’enfance. “Je crois que la famille est en crise aujourd’hui“, confie le réalisateur dans Le Point des arts :
Luigi Comencini se confie sur “Eugenio” dans Le pont des arts (1981)
3 min
Eugenio apporte une réflexion sur l’état de la famille en 1980, dans l’après-68 et plus généralement sur la question de la liberté :
La liberté n’est jamais excessive, la liberté est un bien qu’il faut défendre. Elle est un luxe. Luigi Comencini